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Le corbeau rouge
Partie # 1
La corruption était la clé, mais seulement dans sa plus stricte pureté. Il fallait qu’elle fût totale, voyez-vous. Inscrite jusque dans la moelle des os.
Hector Tavier portait une perversion de cette intensité. Il n’était au fond qu’un rouage parmi d’autres mais, par sa proximité avec la conclusion de cette longue quête, son parcours méritait droit de cité.
Pour lui, tout commença lors d’une nuit orageuse, au ciel de plomb. En une fraction de seconde, un bouleversement majeur déchira son esprit, annihilant l’homme qu’il avait été. Alors, avec une gestuelle robotique et silencieuse, il extirpa de son lit son corps replet âgé de cinquante-quatre printemps, et quitta sa chambre sans un regard pour la forme endormie de sa femme. À ce moment, son âme flottait déjà très loin de ses anciennes limites.
Exalté, étranger à lui-même, il aurait pu répandre de l’essence dans tout son rez-de-chaussée, puis bouter le feu et contempler, d’un œil réjoui, la cruelle crémation de sa descendance. Mais heureusement pour celle-ci, son statut de rouage ne le contraignait guère à une rupture aussi définitive. Il avait un but à servir, et s’y plierait bien volontiers.
Sa peau, anormalement dépourvue d’élasticité, se fendillait de partout, craquant avec la fragilité d’une fine couche de meringue étalée sur du pudding. Tandis qu’il enfilait ses vêtements, des filets de sang s’étiraient depuis ses mains, ses avant-bras et ses épaules. La douleur en résultant n’était pour lui qu’une simple information.
Enfin habillé, il traversa son jardin jusqu’à la cabane à outils qui se dressait au fond, près d’un massif de buissons touffus. Il en tira un seau métallique et une bouteille d’allume-feu, puis s’enfonça entre les taillis. Bien planqué au sein de cet abri végétal, il versa une copieuse quantité de liquide inflammable dans le seau, puis extirpa de son portefeuille, un à un, tous ses documents officiels. Carte d’identité, passeport et permis de conduire furent immergés. Il y ajouta ses cartes bancaires, histoire de faire bonne mesure. Ensuite, il craqua une allumette pour s’offrir une cigarette, et jeta dans le récipient le bâtonnet soufré encore en feu.
La flamme se déploya élégamment dans sa prison cylindrique, réduisant rapidement à néant toute l’identité administrative de Tavier. Indifférent au sort de ces reliquats d’un insignifiant passé, il renversa la tête et savoura sa clope en
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