Histoires à lire...
Sérieux ?
On devait être cinq, mais je ne me souviens plus des noms ni même des visages. Tout juste sortis d’un grand manoir lugubre lourd d’une ambiance de crypte hantée, on était hilares, très loin des protagonistes du dernier quart d’heure d’un film d’horreur. Je n’avais pas d’armes à ma ceinture, pas de potes morts-vivants dans mon sillage, et aucun trauma propre à me faire chier du sang. Il n’y avait que nous, d’humeur folâtre et taquine, dans une nuit urbaine teintée d’orange, avec un peu trop d’alcool dans le sang.
Tout à notre errance, on a débouché sur un chantier plongé dans la pénombre, au fond d’un cratère tapissé de gravier gris-bleu. Vu de l’extérieur, le manoir ressemblait à une bête charpente d’immeuble en construction, plutôt accordée au décor post-apocalyptique accueillant nos pas. La cohérence n’était pas le fort de cette nuit.
En goguette, mes potes et moi étions prêts à toutes les turpitudes, nous motivant mutuellement dans l’escalade du Mont Connerie. On a trouvé un bébé sur les gravats, emmailloté dans une couverture à carreaux, qui se portait à merveille (le bébé, pas la couverture). Bien que ce fût un garçon, il possédait un sac à main de fille, rose bonbon, avec une tête de princesse Disney cousue sur le panneau avant. Avides de fric, on s’est jetés dessus pour le fouiller mais, hélas, les billets qu’il contenait n’étaient guère plus crédibles que ceux d’un Monopoly de brocante. Désillusionnés, on s’est mis à jouer avec le gosse. Il était tellement bien emballé qu’il semblait pouvoir rebondir sur toutes les surfaces, alors bien sûr on a essayé.
Quelle éclate ! On se l’est lancé comme une balle, au milieu du chantier, le rattrapant souvent, le manquant parfois, et il rebondissait alors jusqu’à nos mains moites, prêt pour un nouveau lancer. Puisqu’à aucun moment il ne s’est plaint, on s’est persuadés qu’il appréciait.
J’ai pas eu honte. J’aurais dû, pour sûr. Mais dans mon état, aucun sentiment rabat-joie n’avait droit de cité. La honte est venue le lendemain, c’est-à-dire quelques heures plus tard, conjointement avec la gueule de bois. Seul et tourmenté, loin de l’ambiance d’inconsciente déconnade, j’ai sombré dans le regret et, mû par un irrépressible besoin de rédemption, me suis mis en tête de retrouver l’enfant. Quête assurément longue et fastidieuse, la conclusion de notre jeu ayant déserté ma mémoire. Néanmoins, j’ai immédiatement su où aller : l’orphôpital, ouvert à toute heure, et sinistre comme une cave de maniaque nécrophile.
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