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Flocons de sang

  Ces collines coiffées d’un blanc manteau ne sont que des paupières figées par une pellicule de givre. En dessous roulent des yeux encore aveugles, au rythme d’un souffle à l’intensité croissante. Et soudain, dans une convulsion, Léa s’éveille.

  Elle crie en levant ses volets de chair, déchirant leurs tapis cristallins. Le froid de glacière qui règne ici mord chaque centimètre carré de sa peau. Des formes anguleuses entourent son visage, étalé plus que posé sur un plancher graisseux. Perdue dans le brouillard d’une demi conscience, elle se focalise sur l’élément le plus proche, une chose dégoulinante encastrée dans le sol, dont les couleurs baveuses évoquent la chair et le sang.

  Alors le monde chavire, et les yeux bouffis se font errants. Survolant les détails, ils recomposent, dans la douleur, un affreux tableau. Autour de Léa, une moisson de cadavres partiellement enneigés. Des corps suppliciés, écorchés, écartelés, décapités. Les traits grossis par la terreur, du moins pour ceux ayant encore un visage. Un massacre.

  Haletante, la jeune femme est hypnotisée par la dépouille que son corps frôle. Un être à la mâchoire inférieure pulvérisée, la peau de sa figure arrachée. Dans ses orbites humides, les yeux déchiquetés suintent leurs humeurs, et Léa, au bout d’elle-même, vomit des giclées de bile sur la mare de sang baignant ce charnier. Mille éternités durant, elle reste là, vautrée dans les fluides humains, à régurgiter, pleurer, sangloter et hurler.

  Le froid coupant la rappelle à la vie. A terme, il la tuera. L’instinct parle, l’horreur le suit. Rester ici ? Inconcevable.

  Fébrilement, elle se lève, la chair percée de lames glacées. Son regard trouve la large fenêtre détruite, confortable entrée pour les vagues polaires de cet hiver impitoyable. Le matin s’est levé, constate-t-elle. Il colore l’intérieur du chalet de la douce lumière des lendemains qui chantent. Au dehors, la neige épaisse recouvre toute chose. Léa se rappelle la tempête de la nuit dernière. La chaleur enveloppant le chalet rempli de monde. A présent tout n’est que mort, gel et silence. Ses vêtements légers ne valent rien, elle est comme nue.

  De longues minutes la séparent du moment où elle courra dans la lande, soulevant à chaque pas des geysers de poudreuse. Durant cet intervalle de temps, elle passe d’une pièce à l’autre, les souvenirs fusant à la vue d’un meuble, d’une cloison, d’un visage congelé. D’autres cadavres se dévoilent, adossés aux murs ou 

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Auteur : Charles Daniel Sarre

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